Je croyais que M. de Norpois ne m'aimait pas
Extrait de À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes
Dans un premier temps, le narrateur avait idéalisé en saint homme M. de Norpois, un ami diplomate de son père. Lorsqu’il a appris que Norpois s’était un jour moqué de lui, comme par mouvement de balancier, il avait ensuite imaginé Norpois comme foncièrement mauvais. Quelle n’est pas sa surprise, lorsqu’il apprend par la duchesse de Guermantes que M. de Norpois avait tenté d’intercéder en sa faveur, bouleversant à nouveau l’image qu’il se fait du diplomate :
— Vous le connaissez [M. de Norpois], je sais », me dit la duchesse de Guermantes pour ne pas me laisser en dehors de la conversation. Me rappelant que M. de Norpois avait dit que j'avais eu l'air de vouloir lui baiser la main, pensant qu'il avait sans doute raconté cette histoire à Mme de Guermantes et, en tout cas, n'avait pu lui parler de moi que méchamment, puisque, malgré son amitié avec mon père, il n'avait pas hésité à me rendre si ridicule, je ne fis pas ce qu'eût fait un homme du monde. Il aurait dit qu'il détestait M. de Norpois et le lui avait fait sentir ; il l'aurait dit pour avoir l'air d'être la cause volontaire des médisances de l'ambassadeur, qui n'eussent plus été que des représailles mensongères et intéressées. Je dis, au contraire, qu'à mon grand regret, je croyais que M. de Norpois ne m'aimait pas. « Vous vous trompez bien, me répondit Mme de Guermantes. Il vous aime beaucoup. Vous pouvez demander à Basin ; si on me fait la réputation d'être trop aimable, lui ne l'est pas. Il vous dira que nous n'avons jamais entendu parler Norpois de quelqu'un aussi gentiment que de vous. Et il a dernièrement voulu vous faire donner au ministère une situation charmante. Comme il a su que vous étiez souffrant et ne pourriez pas l'accepter, il a eu la délicatesse de ne pas même parler de sa bonne intention à votre père qu'il apprécie infiniment. » M. de Norpois était bien la dernière personne de qui j'eusse attendu un bon office. La vérité est qu'étant moqueur et même assez malveillant, ceux qui s'étaient laissé prendre comme moi à ses apparences de saint Louis rendant la justice sous un chêne, aux sons de voix facilement apitoyés qui sortaient de sa bouche un peu trop harmonieuse, croyaient à une véritable perfidie quand ils apprenaient une médisance à leur égard venant d'un homme qui avait semblé mettre son cœur dans ses paroles. Ces médisances étaient assez fréquentes chez lui. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir des sympathies, de louer ceux qu'il aimait et d'avoir plaisir à se montrer serviable pour eux.